Cambrai, cité d’histoire nichée dans le Nord de la France, évoque d’abord les grandes lignes : cathédrale, beffroi, batailles, dentelle, et bêtises sucrées. Mais au détour des ruelles, au fil des parcours urbains parfois escarpés, une autre géométrie se dessine : celle des escaliers. Ils ne s’imposent pas — ils relient. Ce sont les charnières discrètes d’une ville en palimpseste.
Les escaliers comme mémoire
À Cambrai, l’escalier n’est jamais un simple outil de passage. Il est une empreinte, un témoin. Dans les quartiers anciens comme autour du boulevard Faidherbe ou du Mont-de-Piété, certains escaliers semblent n’avoir pas changé depuis le XVIIIe siècle. Pierre usée, rampe en fonte ou parfois mur de briques adossé à une volée abrupte : chaque marche raconte une histoire de l’élévation sociale et physique, de la montée depuis les quartiers modestes vers les édifices de pouvoir ou de culte.
L’escalier est aussi la preuve que Cambrai, malgré les apparences, n’est pas totalement plane. Le relief se fait sentir dans les dénivelés discrets, les différences de hauteur entre la Scarpe canalisée et les anciens remparts. Là, des escaliers compensent la pente naturelle ou les transformations militaires du passé.

L’escalier et le temps
Certains escaliers n’ont plus de fonction précise. Ils mènent vers des murs, des grilles, ou des cours intérieures devenues privées. Mais leur présence demeure, obstinée. Ils sont les reliques d’un plan ancien, d’une circulation révolue, peut-être d’un escalier qui menait à une porte qui n’existe plus. À Cambrai, comme dans beaucoup de villes au riche passé, l’inutile devient pittoresque, et le pittoresque, essentiel à la poésie du lieu.
Les escaliers des jardins, comme ceux du Jardin aux Camélias ou du square du Palais de Justice, jouent un autre rôle : celui de ralentir. Ils forcent le promeneur à prendre conscience du sol, à marcher avec soin, à contempler. Ils sont un rythme imposé à la marche, comme une ponctuation au silence.

Escaliers intérieurs : invisibles mais fondateurs
Derrière les façades austères ou bourgeoises du centre-ville, les escaliers intérieurs, eux, échappent au regard. En bois grinçant, en colimaçon, parfois décorés de ferronneries art déco, ils desservent les étages d’immeubles souvent reconvertis. Là aussi, chaque rampe est un récit. L’escalier devient lien social, dans ces maisons cambrésiennes divisées en logements, où il est à la fois frontière et lieu de rencontre.
Et puis, il y a les escaliers des églises notamment ceux de la cathédrale Notre-Dame de Grâce ou de la chapelle des Jésuites qui ajoutent une dimension verticale sacrée à cette ville qui fut, jadis, archevêché. Monter y prend un autre sens : l’élévation devient spirituelle.
En conclusion :
À Cambrai, l’escalier n’est pas un monument. Il n’a pas de plaque, rarement de nom. Il est toujours entre-deux : entre rues, entre époques, entre usages. Pourtant, il dit l’essentiel d’une ville qui se construit dans les transitions. Il oblige à lever les yeux, à descendre les regards, à mesurer son pas. Et parfois, c’est dans une marche banale que l’on redécouvre toute la profondeur d’une ville.